Marché du travail ou marché de dupes

On dit que le marché du travail, depuis quelques décennies, est en mutation. Et c’est vrai. Même Trump ne pourrait dire le contraire.

Non. Mauvais exemple.

Donc, le marché du travail est en mutation. D’abord, les femmes occupent désormais le marché du travail, plutôt que les fourneaux, au grand dam des nostalgiques des années 20. Cette force de travail participe donc à la croissance générale de nos sociétés. Très bien.

Aussi, l’emploi typique (8H30 à 16h30, lundi au vendredi, permanent et avantages sociaux) tend à diminuer pour laisser la place à l’emploi atypique (horaire variable, revenus variables, conditions changeantes). Du coup, ce sont les avantages qui existaient autrefois qui s’évaporent au soleil capitaliste.

Ça s’appelle, en d’autres mots, la détérioration de l’emploi. Comme dans : c’est moins bon qu’avant.

La détérioration de l’emploi ne fait pas que réjouir les animateurs poubelles et le Grand capital, elle contribue gravement à l’accroissement des inégalités. C’est ce qu’on observe lorsqu’on s’intéresse à la croissance des salaires et de la productivité.

C’est fascinant (si on veut) parce que le constat est lourd et fait mal : au cours des décennies, les salaires tendent à stagner, alors que la productivité… augmente. Les gains tirés de la productivité sont plus juteux, mais le jus ne se retrouve que dans le verre à champagne du grand propriétaire, celui qu’on appelle le 1%.

Ça s’appelle, en d’autres mots, un déséquilibre injuste et injustifiable. Comme dans : c’est de moins en moins drôle.

Toujours au chapitre de la mutation du marché du travail, et suivant cette logique de concentration des richesses entre les mains d’une toute petite minorité, on observe une polarisation de l’emploi : les emplois faiblement qualifiés sont en croissance, ceux qui sont fortement qualifiés également… alors que tous les emplois qui se trouvent entre les deux (cols bleus, etc.) sont en perte de vitesse.

Il n’y a jamais de hasard…

La disparité au menu

On nous répondra : « ah, mais, pourtant, tout va bien! C’est fou! »

C’est fou, en effet. Le taux d’activité (les 15-64 ans qui travaillent ou qui sont en recherche d’emploi) est de 80% au Québec en 2017, alors qu’il était de 64% en 1976. On a même dépassé l’Ontario et les États-Unis à ce chapitre. C’est splendide! Il y a aussi une forte croissance des heures travaillées, qui s’explique par la bonne conjoncture économique. Ajoutez à cela le chômage qui recule : d’environ 8% qu’il était avant 2016, il tourne autour de 4,9% présentement au Québec. Encore mieux que l’Ontario! C’est jubilatoire!

Pour vous assommer bien raide, soulignons enfin le taux de syndicalisation qui perd de la vigueur au Québec : de 42% qu’il était en 1997, il en était à 39% en 2016. Et la descente se poursuit.

Là, on ne se peut plus!

Tous ces chiffres sont comme un doux solo de Air guitar aux oreilles de la droite néolibérale. Mais, qu’est-ce qui se cache derrière ces données qui laissent croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes?

Ce qu’on constate, c’est la qualité de l’emploi qui se dégrade. Alors que dans les pays nordiques (aucun lien avec Gary Bettman), la part relative des emplois faiblement qualifiés tend à diminuer, c’est le contraire qui se passe chez nous : la part des emplois faiblement qualifiés augmente plus vite que les emplois en général.

Il n’y pas lieu de s’en réjouir. Ça veut dire que l’on crée des emplois, oui, mais à bas salaire, avec de mauvaises conditions. Cela contribue donc à augmenter la disparité des revenus. En théorie, les syndicats cherchent à réduire ce genre d’effets négatifs. Ils vont plutôt parler de valorisation des emplois, d’amélioration des conditions, de manière à ce que la croissance profite à l’ensemble, plutôt qu’à quelques privilégiés.

Sauf que…

Le syndicalisme affaibli

Il faut dire les choses clairement : taux de syndicalisation n’égale pas pouvoir. Autrement dit, même si le taux est encore élevé au Québec (un des plus élevés au monde), ce taux ne se transforme pas directement en amélioration des conditions de travail. C’est que le pouvoir des syndicats n’est plus ce qu’il était…

La comparaison des salaires des secteurs privés et publics, depuis la fin des années 70, montre que le salaire des non-syndiqués a augmenté plus rapidement. La « poigne » du syndicat n’est plus aussi ferme que naguère. Il faut dire que, à bien des égards, le gouvernement a beau jeu : quand l’État est le seul employeur du secteur en question… ça limite pour le moins le pouvoir de négociation.

Or, dans une négociation, des forces en équilibre qui s’affrontent conduisent généralement à des compromis. Le déséquilibre mène plutôt à l’imposition de conditions, à des lois spéciales, etc. Rien pour assurer une meilleure répartition des richesses, en somme. C’est pourtant la principale utilité du syndicat : la répartition des richesses, l’amélioration des conditions de travail. Mais, quand le poids de l’influence diminue, quand le pouvoir s’amenuise, c’est la détérioration qui est au menu.

Le droit de grève est peut-être confirmé par la Cour suprême, il reste que les syndicats ont aujourd’hui perdu la guerre de l’image. Il est donc plus difficile de jouer les durs et infléchir le gouvernement.

Au début des années 80, le tandem Reagan-Thatcher a mis énormément d’énergie à « casser » les syndicats, à leur faire porter l’odieux de l’état de l’économie. Tant et si bien (ou mal) que l’on ne s’étonne plus d’entendre quelqu’un dire que les syndiqués sont paresseux, coûtent trop cher, volent notre argent, nuisent à la croissance, nuisent à l’économie et à la société. Etc.

C’est plaisant, ça défoule, ça identifie un bouc émissaire, ça remplit une ligne ouverte à la radio-poubelle… mais, c’est faux. Un emploi syndiqué, bien payé, profitant de la sécurité d’emploi, de stabilité et de bonnes conditions, c’est un travailleur qui n’hésitera pas à investir, à acquérir une maison, à consommer, à faire tourner l’économie. En revanche, un employé à faible revenu, à statut précaire, qui ignore de quoi sera fait son lendemain, n’a pas la capacité de contribuer aussi manifestement à l’économie.

C’est facile à comprendre.

Mais, la guerre de l’image est perdue. Pour le moment, du moins. Résultat : dans l’esprit de plusieurs, un millionnaire membre du 1% qui avale la majorité de la richesse qui se crée, c’est cool. C’est dans l’ordre des choses. Alors qu’un employé syndiqué qui va chercher 2% d’augmentation, c’est une infamie.

Allez comprendre…

Surtout sachant que si l’inflation avoisine ou dépasse le 2%, on aura fait du surplace…

Et ce n’est certainement pas la mondialisation qui arrangera les choses, puisqu’elle fait essentiellement pression à la baisse sur les salaires et les conditions en décuplant la taille des marchés et en exaltant la compétition entre les pays.

En somme, le régime capitaliste teinté d’État providence, c’est fini. Les syndicats forts qui négociaient le partage des gains, c’est fini. Il faut croire que l’URSS et le communisme qui gagnaient en popularité avaient effectivement forcé la main des sociétés capitalistes qui avaient cru bon se montrer généreuses afin de garder l’estime (et les votes) de leur population.

Aujourd’hui, l’URSS n’est plus. Le communisme est mort. Le capitalisme a fait la barbe à Marx et ses disciples. Le capitalisme triomphant peut alors se consacrer à ce qu’il fait le mieux : concentrer la richesse, faire des perdants, promouvoir la croissance pour la croissance.

Ça, c’est bien.

Ça, c’est le progrès.

Alors, le marché du travail, un marché de dupes?

On dirait bien.

Après tout, quand ça ressemble, que ça sent et que ça goûte la tarte au citron, c’est forcément parce que c’est de la tarte au citron.

Mais, le marché du travail, c’est pas de la tarte…

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