On aime bien malmener notre modèle québécois. C’est toujours pratique en campagne électorale. Ça fait sérieux, ça fait changement. Celui qui s’essuie les pieds sur le modèle québécois, lui, il l’a l’affaire, c’est clair.
Sauf que lorsqu’on prend la peine et le temps de lire des analyses sérieuses, tous les arguments phares et forts des mange-modèle-québécois s’évanouissent, indiscutablement.
Oui, bon. Mais, si on s’entendait d’abord sur le concept. Vous critiquez, mais vous savez ce qu’est, le modèle québécois?
Outre la caricature qu’on en fait, du type « on est trop taxé » ou « c’est la bureaucratie paralysante », le modèle québécois pourrait se résumer à la social-démocratie, soit un modèle économique où l’État a un rôle à jouer et où il le joue franchement (pensez à la Caisse de dépôt et placement du Québec, Hydro-Québec, la Société des alcools, aux écoles publiques, aux soins de santé, etc.), un modèle où le taux de syndicalisation est important. C’est un modèle où la croissance peut être importante, mais pas au détriment de la redistribution. Du moins, dans un équilibre relatif. Le modèle québécois est un peu plus solidaire que certains autres, il n’est pas un modèle économique impérialiste. Au contraire, il doit tenir compte d’une réalité culturelle, historique, sociale et politique bien particulière. Ne serait-ce que le fait d’exister en français, en solo, au milieu d’un océan anglophone.
Voilà. En quelques mots.
Or, ce modèle, on lui casse du sucre sur le dos. C’est amusant et c’est payant. Parlez-en à Alain Dubuc qui aime tant la richesse qu’il en fait l’éloge, dans un bouquin. Il ne dit pas que nous sommes pauvres, mais que notre PIB fait pitié et que, conséquemment, nous sommes « les plus pauvres dans le club des pays riches. »
Bon. On a une larme.
Sauf que lorsqu’on cesse de jouer un rôle d’idéologue et qu’on analyse avec franchise, les constats, les faits, n’étayent pas la thèse défaitiste. C’est plutôt le contraire.
Notre fardeau fiscal est important, certes, mais lorsqu’on tient compte du taux effectif plutôt que le taux marginal, qu’on prend en considération ce qui nous revient (nombreux crédits et allègements fiscaux) et qu’on analyse en fonction des statuts des ménages… eh bien, on se rend compte que le Québec se situe toujours assez bien comparé aux autres pays du G7, aux pays scandinaves ou à l’Australie.
Cette analyse, ce sont les fatigants de l’IRIS qui l’ont produite (décidément, ils n’acceptent jamais les clichés, eux…). Et en conclusion, ils écrivent que « le portrait qui se dégage d’une étude approfondie de la fiscalité québécoise est bien différent de celui associé à certains préjugés tenaces. En effet, les Québécois·es ne sont pas la population la plus imposée au monde ou même en Amérique du Nord. La majorité des contribuables sont en fait moins ou autant imposés qu’ils ne le seraient aux États-Unis ou dans le reste du Canada. Voilà qui met un bémol important au discours préconisant plus de compétitivité fiscale au Québec. Parmi les 13 pays de l’OCDE, la charge fiscale de nos différentes catégories de contribuables ne dépasse jamais le 7e rang. Comment dans ces conditions affirmer que le Québec fait figure d’exception en imposant trop lourdement ses contribuables? »
Vous en voulez davantage? Ils se sont aussi amusés à répondre à l’hypothèse : et si nous étions pris avec un gouvernement de la CAQ qui aurait claironné pendant toute la campagne que nous sommes les plus pauvres d’Amérique, que faudrait-il répondre?
Ceci : « un tel gouvernement partirait de la prémisse que le Québec est pauvre. Sur les 61 États américains et provinces et territoires canadiens, nous n’occuperions que la 57e place avec un PIB par habitant de 36 406 $ (en dollars US de 2014 selon les documents du parti). Mais un tel indicateur est-il suffisant pour dépeindre négativement la situation québécoise? La réponse est simple : non. Complexifions un peu le portrait par une comparaison avec l’Ontario. À l’ouest de la rivière des Outaouais, le revenu médian du 90 % inférieur (donc la part de la population dont on retire le 10 % le plus riche) est inférieur de 2,4 % à celui de la population équivalente au Québec (28 600 $ en Ontario contre 29 300 au Québec). Si l’on fait exception des revenus des plus fortunés, on constate donc que les Québécois et les Québécoises ont de meilleurs revenus que leurs voisins. »
L’image du retard québécois est donc inexacte, mensongère.
Vous en voulez encore?
L’économiste Pierre Fortin rappelle « qu’une fois le coût de la vie pris en compte, un couple québécois affiche un pouvoir d’achat supérieur de 5 % à celui d’un couple ontarien. »
C’est encore plus gros si on parle du pouvoir d’achat des médecins, mais là, on va s’égarer…
J’en rajoute une couche :
« Le coût de la vie est généralement beaucoup plus bas au Québec qu’en Ontario, en Alberta ou aux États-Unis, même lorsqu’on tient compte de sa fiscalité plus lourde, conclut une étude.
Caractérisée notamment par des services publics à bas coût et une fiscalité plus lourde, mais progressive, Montréal s’avère nettement plus abordable que Toronto pour les 19 types de ménages analysés, constatent deux économistes de l’UQAM dans une étude d’une trentaine de pages réalisée pour le compte de la CSN. La métropole québécoise fait mieux également que Calgary, à l’exception des familles à revenu plus élevé qui n’ont pas d’enfant à la garderie ou à l’université. Il en coûte aussi nettement moins cher de vivre dans la ville américaine de Philadelphie pour les ménages plus riches, en raison de la fiscalité, mais aussi en raison de l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis. »
J’ai pas fini.
Le chercheur Nicolas Zorn a écrit un livre qui s’intéresse à la croissance des inégalités. En comparant les données de plusieurs pays sur trois décennies, il a constaté que le modèle québécois fait en sorte que la croissance des inégalités est moins pire ici que dans la plupart des pays pris en compte dans l’étude.
Il faut savoir que les inégalités nuisent à la croissance. C’est pas que les gauchistes qui le disent. C’est aussi le FMI et la Banque mondiale, deux organisations qui n’ont pas la prétention de camper à gauche. Surtout pas. Néanmoins, les deux géants de la Finance internationale admettent que l’austérité et le creusement des inégalités nuisent au développement. Il faut donc en conclure, logiquement, que les endroits du monde où les inégalités frappent le moins fort sont les mieux placés.
C’est nous, ça.
On pourrait enfin souligner que la syndicalisation, qui irrite le zélote néolibéral qui rêve de faire son fric sur le dos des autres, crée une stabilité dont profite l’économie générale. Un travailleur en situation précaire dépense moins qu’un travailleur qui sait de quoi demain est fait. Et puis, la stabilité toute québécoise lui a permis de passer au travers des crises des dernières décennies avec plus de facilité que bien d’autres. Le Québec, c’est peut-être pas une Formule 1, mais un véhicule plus modeste capable de franchir les bosses sans mal.
Alors, le bilan?
Peut-on faire mieux? Sans doute. Mais, il vaut alors la peine de se poser la question la plus importante : qu’est-ce qui fait vraiment notre bonheur? La croissance pour la croissance, est-ce que c’est ça, le nirvana?
Quand on se sort la tête du caviar, on réalise que le bonheur ne se mesure pas qu’à la croissance, qu’à la taille du PIB ou du nombre de millionnaires que l’on abrite.
Une économie qui répond aux attentes de sa société, c’est une économie qui répond aux besoins des gens, qui fait le bonheur de la société. Pas que des actionnaires des sociétés.
Alors, dire qu’on est dû pour écrabouiller notre modèle québécois, c’est un slogan. Sans plus. Usé à la corde, soit dit en passant.
Méfiez-vous des slogans creux. Surtout quand ils sont portés par des gens tout aussi creux…