L’avenir passe par le capital humain

Ainsi donc, Gary Becker (1930-2014) nous a réveillés, collectivement. À une époque où l’URSS réalisait des prodiges cosmiques, les bonzes du capitalisme à l’américaine n’avaient pas songé un instant, jusque-là, qu’il était peut-être opportun et rentable d’investir aussi sur le capital humain.

Tiens donc.

Becker, l’économiste américain, pourtant de tendance conservatrice, savait néanmoins reconnaître un phénomène quand il en voyait un : un esprit humain bien formé, c’est un investissement qui rapporte.

Si, à l’époque, ses propos faisaient grincer des dents (merde, il va falloir investir sur des gens ?), aujourd’hui, le concept de capital humain est accepté, intégré, coulé dans le béton. À moins d’avoir une prodigieuse mauvaise foi et une haine de l’humain profonde, vous aurez compris et admis qu’un humain éduqué est payant pour une société. À plusieurs égards.

D’abord, nous dit Becker, une meilleure formation conduit, en général, à un emploi mieux rémunéré. C’est donc plus d’argent à dépenser, vous l’aurez compris…

Mais, un meilleur emploi, c’est aussi de meilleures conditions, une meilleure qualité de vie, ce qui donne, au bout, une meilleure espérance de vie, une vie plus épanouie.

D’ailleurs, fréquemment en politique, on fait la corrélation fort appropriée entre bonne éducation égale moins de frais de santé. C’est connu. Mieux éduqué, meilleur salaire, meilleures conditions, moins de stress, moins malade, donc moins de coûts.

Ainsi, le capital humain est fondamental. Je dirais même plus, ajouterait Dupont ou D, c’est là que se joue l’avenir de notre société. L’affirmation semble intense… mais, elle n’en est pas moins tout à fait juste.

Dans un monde de plus en plus mondialisé, où les travailleurs affectés aux tâches plus répétitives ou moins complexes sont souvent difficiles à concurrencer (c’est l’avantage de s’essuyer avec les droits de l’homme, on peut sous-payer un ouvrier à sa guise), il reste aux sociétés qui veulent survivre à miser sur le savoir.

C’est d’ailleurs également admis que le développement durable et le capital humain, c’est une paire indissociable pour quiconque espère faire vieux os.

Mais, dans ce beau portrait idéal, n’allez pas croire que les affairistes n’ont pas flairé la bonne affaire. Ce serait se mettre la tête dans l’autruche, pour reprendre l’expression deltellienne.

Au contraire : puisqu’il faut investir dans le capital humain, disent les zélotes de la piastre, mieux vaut alors créer l’adéquation parfaite entre formation et besoins des entreprises. T’sais, on va pas investir pour former des foutus philosophes, quand même !

Hé bin, oui. Il faudrait.

À ce propos, le sociologue Antoine Baby a écrit un texte magistral* pour s’opposer à ceux qui voudraient faire main basse sur l’école, pour satisfaire l’appétit du business. Pour lui, l’école n’est pas une manufacture à main-d’œuvre. Dans une thèse absolument brillante, il nous met en pleine face son raisonnement des plus logiques : compte tenu du fait que l’instabilité et la précarité caractériseront de plus en plus le monde du travail, que les emplois disparaitront de plus en plus vite, que la flexibilité extrême s’imposera toujours plus, qu’il faudra sans cesse se renouveler, faire de la formation et des mises à niveau, pour être bien souvent remplacés par des robots, à quoi sert donc de tout miser sur une formation précise qui sera tôt fait dépassée, caduque ?

N’est-ce pas ?

Voilà pourquoi il estime vital de non pas resserrer les liens école-entreprise, mais plutôt de les relâcher.

Il écrit : « À quoi sert donc maintenant de tout exiger de l’école en matière de formation professionnelle initiale ? À quoi sert donc maintenant de resserrer les liens entre l’école et l’entreprise dans un contexte aussi imprévisible et évanescent en matière de qualifications requises ? Uniquement à faire former par l’école et à coût nul une main-d’oeuvre rentable à court terme, mais qui sera aussi de ce fait captive, rapidement obsolète, difficilement recyclable et encore plus difficilement reconvertible. […]

Conséquemment, le plus sale tour que l’école peut jouer aux jeunes d’aujourd’hui à ce niveau est de se soumettre aux diktats de l’entreprise et de les enfermer dans une formation pointue qui risque de tomber en désuétude rapidement, ce qui est pourtant ce que l’entreprise demande de manière incessante. »

Et puis, vous voyez, dans un monde où l’instabilité règne en maitre, c’est la protection des travailleurs, les syndicats et tout ce qui avantage la main-d’œuvre qui coulent à pic. C’est plutôt réjouissant comme perspectives pour un requin qui rêve d’exploiter son prochain…

C’est pourquoi Baby croit que « le temps est venu pour l’école d’exiger de l’entreprise un nouveau partage des responsabilités et des coûts de la formation professionnelle et technique. »

Ce serait un minimum. Si l’Allemagne s’y est aventurée il y a longtemps, si les pays scandinaves misent à plein régime sur le capital humain, avec une éducation des plus accessibles, pourquoi pas nous ? L’école gratuite, du début à la fin du parcours, n’est pas une utopie. Ce que Becker aura vu, sans le dire ainsi, c’est qu’une société qui s’offre l’éducation s’offre un avenir et que, dans le cas contraire, le tic-tac de la montre qui annonce la fin devient de plus en plus bruyant…

En somme, philosophez, lisez, aimez l’art, voyagez, intéressez-vous au monde, à ce qui vous entoure. Soyez de bons humains. Ça vous sera plus utile que d’espérer le paradis, quand le patron n’a pour vous que l’enfer pour projet.

 

* Main basse sur l’école, Le Devoir, 11 septembre 2017.

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Gary Becker

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