C’est haut, un piédestal. C’est plaisant, un piédestal. Ça donne une vue de haut, sur les autres. C’est bon pour l’égo.
Par contre, bien qu’il soit très solide, fait de marbre d’Italie, même s’il est magnifique, lustré, imposant, on peut néanmoins en tomber. Et plus il est haut et plus la chute est grande. Et plus l’atterrissage est fracassant.
C’est ce qui arrive à trois géants du showbiz : le producteur Harvey Weinstein aux États-Unis, Gilbert Rozon et Éric Salvail au Québec (on pourrait ajouter Gilles Parent).
Des géants.
On avait l’impression qu’ils seraient là, pour toujours. Inébranlables.
Il y a ici, malgré les apparences, un lien étroit avec l’économie. La situation permet même d’intéressantes réflexions philosophiques et économiques.
Ces drames mettent en lumière, de façon magistrale, la puissance de ceux qui employaient les victimes. Oui, c’est très économique comme questionnement, tout ça.
Ces histoires rappellent à quel point le rapport salarial est violent. À quel point le pouvoir économique est pesant, intimidant. On l’a d’ailleurs beaucoup entendu : « je n’ai pas parlé, je ne l’ai pas dit, je n’ai pas dénoncé, j’avais peur pour ma job. »
Avec raison.
Rien de neuf ici, ni de subversif : le capitalisme, en termes de rapport social, est un rapport de domination. Et la domination s’articule dans l’enrôlement qu’est le rapport salarial, le salariat. Le salarié, le contractuel, doit impérativement obéir. Sa situation économique fragile ne lui laisse que peu de marge de manœuvre.
Et c’est ce qui distingue le salarié du « Capital », c’est-à-dire, de celui qui détient le capital, qui détient l’argent, donc le pouvoir. Le Capital, lui, il peut attendre. Tranquillement. Il peut laisser fructifier ses avoirs, en savourant des cocktails sur une île, sans doute paradis fiscal.
Le salarié, quant à lui, il a besoin de sa pitance tous les jours et de gagner les sous dont il a besoin pour s’en assurer. Il a besoin d’argent, tous les jours, pour vivre. C’est l’évidence même.
Si, bien sûr, le Capital ne peut à peu près rien faire sans ses salariés (d’où les luttes et nombreux textes écrits à ce propos pour bien faire comprendre cet état de fait et la nécessité de le réaliser afin de pouvoir changer les choses), le salarié en revanche dépend complètement de son revenu.
Alors, il endure. Il se tait.
Il s’agit ici d’un épouvantable dilemme dont ont tiré avantage de nombreux grands princes, élites indiscutables, grands patrons. Certains de ces princes ont poussé la chose au-delà de toutes les limites : abus sexuel, harcèlement sexuel, menaces, intimidations, chantage. Pendant des années et des années. Juste pour jouir, mais aussi pour le plaisir de jouir du pouvoir.
Pas joli du tout.
Et personne n’a osé parler. Ou si peu.
La menace économique, ce rapport salarial, est une chaîne manifeste, lourde et coûteuse à couper, croyait-on. Fort heureusement, les choses sont peut-être en train de changer.
Il le faut.
Le prix à payer pour les victimes jusqu’ici était leur silence, leur soumission. Le prix à payer pour se libérer, désormais, pourrait être beaucoup moins élevé, parce que la société semble en voie de se réveiller.
Quant au prix à payer pour les auteurs, ne sortez pas les mouchoirs trop rapidement (ni les confettis).
Les Grands Princes du showbiz ont peut-être perdu leurs émissions, leurs commanditaires, leur prestige… mais ils ont eu la clairvoyance d’investir dans du plus solide que la variété télévisuelle ou médiatique : Rozon et Salvail possèdent de l’immobilier. C’est fiable, l’immobilier. Ça résiste justement au temps, l’immobilier. Quoi qu’il advienne. Salvail fera aussi une petite fortune à vendre son entreprise, Rozon encore davantage, lui dont l’entreprise du rire compte de nombreuses composantes, réparties dans le monde.
Oh oui, il en aura, du capital. Ce ne sera même pas drôle.
Puissent à présent d’autres victimes se libérer de ce joug cruel et inacceptable et que l’on commence, enfin, à gratter un peu du lustre de ces Princes que l’on a conservés sur leur trône, trop longtemps, au détriment de la société.