L’industrie de la mort

Une autre tuerie, une autre. Cette fois à Las Vegas. Un tueur qui se poste au 32e étage d’un hôtel pour tirer sur la foule qui assiste à un concert.

De la folie à l’état pur.

Le tueur, Stephen Paddock, 64 ans, originaire du Nevada, un homme riche, sans histoire, fan des casinos, avait 23 armes avec lui et un véritable arsenal à la maison, des armes acquises légalement en répondant à toutes les exigences et aux procédures administratives pour l’achat d’armes.

Paddock aurait accumulé un total d’une cinquantaine d’armes à feu, des explosifs et des milliers de balles. Parmi celles-ci : fusils, mitraillettes, armes semi-automatiques, des explosifs…

Dans la chambre d’hôtel, on a aussi découvert un petit appareil permettant de transformer une arme semi-automatique en une arme automatique, et pouvant donc tirer sans discontinuer.

Épouvantable.

Mais pas surprenant.

Et c’est aussi ce qui est triste : cette nouvelle n’est pas étonnante. On ne tombe plus en bas de sa chaise lorsqu’on entend dire qu’y a une tuerie aux États-Unis.

On se demande où.

Et combien de décès.

On est bouleversé, chaque fois… mais pas surpris.

Et pour cause, les statistiques révèlent qu’il y a aujourd’hui PLUS d’Américains qui sont morts sous les balles depuis 1968 que l’ensemble des guerres combinées de l’histoire américaine : 1,5 million de décès contre 1,2 million pour les guerres.

Tout est là.

Nous nous sommes habitués au malheur parce que le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique veille au grain. Il est là, imperturbable, à assurer la présence des armes dans le pays de l’Oncle Sam.

Or, chaque fois qu’il survient une tuerie, la même réflexion reprend : comment défendre l’indéfendable amendement dans le contexte d’aujourd’hui ? N’est-il pas, à sa face même, dépassé ? Caduque ? Folklorique ?

Car, de fait, le deuxième amendement fait partie du Bill of Rights passé… le 15 décembre 1791. Il a donc été écrit il a 226 ans!

Pour réaliser l’absurde de la situation, songez que cela équivaut à écrire aujourd’hui les lois qui encadreront les armes en 2243.

Oui, c’est fou.

C’est fou, parce que le contexte, la société, ont beaucoup changé depuis. Cet amendement répondait à un contexte, fragile, où les colons américains devaient constamment protéger leur vie, leur famille. Or, à l’époque, faut-il le préciser, les citoyens disposaient de fusils à silex. Un seul coup, un seul, vous forçait ensuite à recharger pendant de longs moments, pour ne tirer à nouveau qu’une seule fois.

Comparons.

Aujourd’hui, nous (en fait, eux) disposent de fusils d’assaut, de pistolets munis de gros chargeurs, de puissantes munitions. Certaines armes semi-automatiques peuvent tirer de deux à cinq coups à la seconde et de 10 à 15 (parfois plus) coups à la seconde pour l’arme automatique.

Le Ingram Mac-10 tire 20 coups à la seconde de calibre 45 !

On réalise aisément : ça n’a plus rien, rien à voir avec 1791.

Alors, on nous sort l’argument qui tue :  il nous faut des armes pour nous protéger du crime !

Ouais…

Sauf que le taux de criminalité est en baisse. Ça ne tient pas.

Alors, pourquoi ? Pourquoi des armes? Pourquoi autant?

Follow the money

Le vice-président Mike Pence a dit « prier pour les victimes » de la tuerie de Las Vegas, ce à quoi on lui a répondu : « gardez vos prières. Vous avez accepté 30 millions pour votre campagne de la part de la NRA. »

Pourquoi des armes? Pour l’argent. Toujours l’argent. Et le pouvoir. Les classiques, en somme.

L’industrie des armes à feu dans le marché intérieur américain est payante. Très payante. Il y aurait entre 265 et 357 millions d’armes à feu en circulation aux États-Unis, plus que le nombre de citoyens américains.

Environ 500 armes sont achetées chaque jour, soit près d‘une toutes les deux minutes et demie, ce qui correspond à 182 500 armes vendues par an achetées dans plus de 7200 boutiques (soit plus de 140 par État). La vente d’armes à elle seule s’élèverait à 10,3 milliards de dollars.

Payant.

Et pour pouvoir faire de l’argent et continuer d’en faire, le lobby des armes à feu est d’une redoutable efficacité. Là est sans doute ce qui fait le plus peur : la puissante National rifle association livre la marchandise. Elle fait pression sur les politiciens… et ça fonctionne.

Il y aurait 4 millions d’Américains membres de la NRA. Ça semble faible, comparé à d’autres lobbys, mais sa force réside dans son efficacité : lorsqu’ils commandent à leurs troupes de soutenir un candidat, ils le font. Tous. Ils sont très bien implantés, tant au national que dans les États ou au municipal. Cette efficacité d’opération terrorise littéralement les candidats politiques américains qui se présentent dans des secteurs où ils sont fortement présents.

Ceci explique cela.

Alors, pour garder bien en vie une association et une industrie de la mort, on est prêt à ne pas réagir pour ralentir les 10 000 meurtres qui surviennent, chaque année, aux États-Unis. On y compte plus d’un meurtre par arme à feu toutes les heures, soit plus de 27 homicides par jour.

Une culture de la mort

La répartition des trop nombreuses armes à feu présentes en sol américain donne une autre statistique qui fait frémir : une étude de 2016 montre que 3 % des propriétaires d’armes possèdent… 50 % du stock d’armes.

Ça représente 7,7 millions de personnes qui possèdent en moyenne… 16 armes!

Joyeux collectionneurs ou fous furieux ? Il reste que la disponibilité d’armes en territoire américain est indéniablement le coeur du problème. On pourra toujours essayer d’enfumer la réalité dans des faits alternatifs, il n’en demeure pas moins que des armes disponibles sont autant d’occasions d’en user.

À titre comparatif, pour ceux qui avancent que le terrorisme est le principal danger, il faut savoir qu’entre 2001 et 2011, il y a en moyenne plus de 11 000 homicides commis aux États-Unis (donc, par des Américains) contre un peu plus de 30 morts en moyenne par année attribuables au terrorisme (exception faite de septembre 2001 qui, à lui seul, a fait près de 2700 victimes et qui hausse la moyenne globale annuelle à 272, ce qui ne correspond pas à une tendance).

Autrement dit, le principal problème aux USA, ce n’est pas le terrorisme, ce sont les Américains armés. D’ailleurs, toute comparaison avec d’autres pays ne fait que confirmer la chose : il y a beaucoup moins de meurtres par armes à feu dans la plupart des pays du monde. Et dans les pays où les armes à feu sont rares, chaque fois, les statistiques suivent la même tendance : les meurtres y sont aussi rares.

L’exemple australien 

La solution est pourtant toute trouvée et fort simple : retirer les armes de la circulation.

La preuve ? L’Australie.

En 1996, la tuerie de Port Arthur en Tasmanie a fait 35 morts, le pire meurtre de masse que le pays ait connu. À peine douze jours après le drame, l’Australie prend le taureau par les cornes et annonce un virage : désormais, la loi interdira les ventes d’armes entre particuliers, on imposera l’enregistrement des armes et on passera le passé du client au peigne fin qui devra fournir une raison valable pour justifier son achat. Et, surtout, l’État australien a effectué un rachat massif de 600 0000 armes de poing et fusils automatiques (ce qui représentait 20% des armes en circulation).

Résultat ?

Le taux d’homicide en Australie a été divisé par deux et il n’y pas eu de nouvelle tuerie de masse.

Bref : il y a quelque chose à faire.

Et ça fonctionne.

Mais, pour ça, il faut que la valeur humaine soit plus grande que celle de l’argent.

On parie ?


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