Révolution numérique. Rien de moins.
On peut s’en moquer, il serait peut-être plus avisé de l’admettre. La bête a beau être essentiellement intangible, elle n’en est pas moins immense, elle est partout et elle est incontournable. Un peu comme Dieu, direz-vous? Oui, bon. Après tout, pour certains, l’intervention du numérique dans la vie économique est une religion. Pour de nombreuses personnes, leur cellulaire est sacré.
Oui.
Reste que ce dont il est question, c’est un phénomène qui n’est pas près de ralentir. L’économie numérique, c’est à peu près partout où vous posez les yeux : la tablette, l’ordinateur, la télévision, votre musique, mais aussi une intervention du numérique à l’une ou l’autre des étapes de confection des machines, des meubles, des voitures, des maisons, des routes, c’est une nouvelle façon de faire de l’hôtellerie, du taxi, de vendre de la publicité, de magasiner, c’est aussi des échanges comme jamais dans la sphère financière, une économie et une science économique qui doivent s’ajuster à la réalité numérique.
C’est… partout.
L’information numérique voyage plus vite que votre cerveau est capable de l’imaginer, vous pouvez couvrir la terre entière en un clin d’oeil… des milliers de fois.
Tout cela semble joli, presque trop parfait. Mais, comme dans toute chose, les excès n’ont rien de tellement emballant. Encore moins lorsque l’on n’est même pas en mesure de savoir jusqu’à quel point nous sommes dans l’excès.
Par exemple, la publicité quitte à vitesse grand V les médias traditionnels. Les placements publicitaires ont migré, qu’on le veuille ou non, vers le web. Les deux tiers des revenus publicitaires au Canada sont avalés par Google et Facebook. Résultat : dans les salles de nouvelles et dans les édifices à bureaux des médias, c’est la catastrophe.
Les emplois disparaissent, près de la moitié de ceux-ci se sont évaporés dans la presse écrite au cours des 6 ou 7 dernières années. Je ne compte plus le nombre de copains et d’ex-collègues qui ont quitté, malgré eux, un métier qu’ils aimaient, mais dont l’avenir incertain et les nouvelles tendances éditoriales ont poussé vers la sortie.
Du journalisme rigoureux, plein d’éthique, oui. De la promo ou de l’opinion sans contenu, non.
C’est que, depuis quelques années, on vit le triomphe du cheap speech, un discours souvent intolérant, raciste, polémique, qui évacue les faits, la vérité, discours rendu possible par le fait qu’il est désormais très facile de diffuser ses propos : un ordinateur, une connexion internet… et voilà.
Jadis, pour avoir la chance de donner son opinion, il fallait obtenir ce privilège : il fallait avoir fait des études, avoir été un journaliste qui a fait ses preuves, qui a acquis une crédibilité, une notoriété, qui faisait qu’on pouvait lui confier la colonne lui permettant de dire ce qu’il pense… mais, toujours dans les limites du journalisme. Ça prend des faits. Ça prend un cadre. Ça prend de la rigueur.
Ça prend aussi une boîte qui a investi des millions dans la mise sur pied d’une salle de nouvelles qui comprend des journalistes, des rédacteurs, des correctrices, des graphistes, des secrétaires, des directeurs, des gestionnaires, (des typographes à une certaine époque), des informaticiens, des archivistes, un ou deux concierges, ainsi que des bureaux, des ordinateurs, des chaises, des meubles, du tapis, du papier, des imprimantes, du filage, de l’électricité, du chauffage, le câble, internet…
Des millions.
Mais, c’était le prix à payer pour avoir du vrai, pour avoir de l’information de qualité, pour avoir une profession de journaliste qui se respecte. Et, un journaliste, c’est sérieux. En principe. Ça vérifie ses sources, ça attend d’en avoir au moins deux qui confirment avant de publier, ça fait de la recherche, ça lit, ça fouille, ça fouine, ça vérifie, ça analyse, ça confirme… puis ça écrit.
Une grande gueule… ça écrit, sans délai. Ou ça parle, live.
C’est tout.
Ça n’a pas même forcément réfléchi au sujet avant d’ouvrir sa trappe. Ça dit. Ça jase. Ça avance. Ça suppose que. Ça imagine que. Ça « opinionne ».
Et ça a une opinion sur tout, surtout à propos de ce qu’il ne connait pas.
Et ça brasse. Ça… ça aime brasser! Au moins autant qu’un fabricant de yogourt ou de bière. Ça aime ça quand la broue se pète.
Et souvent, ça aime pas les étranges, ça aime pas les taxes, ça aime pas les intellectuels. Mais, c’est donc bien proche du vrai monde, tsé?
Ce genre de bestiole se reproduit sur les ondes, dans les journaux et sur internet à une vitesse folle, tant et si bien que l’on finit par croire que c’est le discours intolérant, vide, qui est la norme, qui est partout, qu’il est le juste discours.
Alors, à ceux qui pourraient s’emballer du potentiel de diffusion d’internet, qui s’émerveillent du fait que quiconque puisse donner son avis à propos de tout et de rien, mais de rien surtout… à ceux qui estiment que les journalistes font de la fake news, eh bien…
À ceux-là je dis : n’oubliez pas d’éteindre la lumière en sortant. Je ne suis pas certain que le spectacle vaudra la peine d’être vu…
Pour les autres, on pourra peut-être penser à une sorte de réveil collectif, histoire de taxer ces géants du Net qui s’amusent à nos dépends et de se doter de moyens pour mettre en valeur la culture qui est la nôtre, sans oublier de regarnir nos salles de nouvelles de vrais journalistes qui sauront, eux, faire la différence entre un programme rigoureux et les inepties d’une mandarine américaine.
Pour le bien de l’humanité.
Des références:
- La révolution numérique
Jean-Claude Cloutier - Le prix du cheap speech
Pierre Trudel - Rendre la publicité numérique moins opaque
Jean-Philippe Décarie - Ottawa ne taxera pas Netflix, point final
Guillaume Bourgault-Côté - Comment survivre face à Google et à Facebook?
François Desjardins