Il n’y a pas de faute dans le titre qui coiffe ce billet. Il y a une faute dans le projet.
Le libre-échange devait, en principe, s’avérer utile, nécessaire à la prospérité collective et n’apporter que du bonheur. On y voyait un grand intérêt, notamment au chapitre des prix : l’ouverture des marchés, c’est l’ouverture à la concurrence et la concurrence a un effet, bénéfique, sur les prix. Tout ça, à l’avantage des consommateurs, évidemment.
Ça, c’est le côté lumineux de la lune. Son côté obscur est moins éclatant.
Dans les faits, le véritable visage du libre-échange est plus décevant, plus dommageable. Voilà ce à quoi s’est notamment intéressé Jacques B. Gélinas dans son livre Le néolibre-échange, un terme créé pour mieux refléter la réalité des choses.
Le libre-échange montre des liens congénitaux avec le néolibéralisme, cette doctrine qui a poussé le libéralisme dans ce qu’il pouvait nous offrir de moins intéressant pour l’humanité : les lois du marché comme une infaillible parole de Dieu, la présence de l’État uniquement comme levier au service du privé, l’entreprise au coeur de l’économie, le profit et la cupidité comme obsessions. Se faisant, le libre-échange s’est muté en néolibre-échange, plus conforme à la réalité et exprimant plus explicitement sa véritable nature.
L’entreprise (la grande corporation transnationale) n’a que faire des contraintes. Elle se moque comme de sa dernière chemise (fabriquée par des enfants exploités) de la protection de l’environnement, des lois du travail, du respect de l’homme, des programmes sociaux et des bienfaits collectifs. Pour elle, l’État-nation est une cage, une camisole de force dont il faut la débarrasser. C’est précisément ce à quoi le libre-échange aura servi : donner la primauté absolue au profit, au point de permettre aux entreprises de poursuivre, de plein droit, un État qui aurait voulu imposer des contraintes qui nuisent par le fait même au profit, qui amenuisent les revenus. Pensez seulement au moratoire sur le gaz de schiste qui a donné l’occasion à la sympathique Lone Pine Resources d’invoquer le chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), qualifiant le dit moratoire québécois «de révocation arbitraire, capricieuse et illégale» de son droit d’exploiter le pétrole et le gaz du fleuve Saint-Laurent.
Il n’y a rien de trop beau au pays du néolibre-échange.
Ainsi, ce ne sont plus tellement les barrières tarifaires qui font obstacles, puisqu’on les a passablement réduit. C’est la démocratie qui s’avère lourde et improductive. Aussi fallait-il convaincre les politiciens de signer un chèque en blanc qui condamnerait la démocratie, les parlements, les citoyens. L’histoire nous rappelle d’étonnantes décisions prises dans un contexte tout aussi renversant.
Hormis les principaux intéressés, à peu près tout le monde s’opposait au libre-échange, au début des années 1980, nous rappelle Jacques B. Gélinas. Même le conservateur Brian Mulroney. Mais, il fallait compter sur le pouvoir de persuasion du duo infernal composé de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Mulroney est rentré dans le rang et s’est transformé en apôtre et fier supporteur du libre-échange. Mais, il a eu besoin d’un coup de main pour l’imposer aux Canadiens. Et ce coup de main est venu… des souverainistes!
En effet, Bernard Landry et Jacques Parizeau ont offert le soutien dont Mulroney avait besoin pour pousser le projet dans la gorge de l’oie canadienne. Nous vivons depuis avec les dommages collatéraux (de même que les quelques effets bénéfiques) du libre-échange, ce qui inclut des reculs sur les plans social, environnemental, culturel et économique.
Qu’est-ce qu’on n’est pas prêt à accepter pour permettre à un patron d’acquérir une villa en Italie, je vous le demande.
Avec le néolibre-échange, la frontière entre le monde des affaires et la politique est disparue. La concentration de la richesse s’accélère au même rythme que se creusent les écarts, la collusion devient une norme, une hypercollusion, qui gangrène ce qui restait de résistance ou de défense des intérêts collectifs. Le néolibre-échange n’a plus de patrie, plus de cadre national, plus de règles, sauf celles qui lui garantissent l’enrichissement. Sa seule patrie, c’est l’argent.
Fort heureusement, nous dit Gélinas, il y a un peu d’espoir dans ce sombre tableau. Les jeunes, plusieurs s’unissent et marquent leur opposition aux dogmes du capitalisme cupide et ravageur. On descend dans la rue, on fait du bruit, on s’interpose, on manifeste son désir de voir le monde devenir autre chose qu’un gigantesque cochon-tirelire.
Le coopérativisme pourrait bien s’imposer, un jour, quand les humains en auront assez de ce régime de fous. Alors, les humains se soutiendront, collectivement, au lieu de se faire compétition.
Pourvu qu’il ne faille pas attendre l’irréversible catastrophe, naturelle ou économique, avant de se réveiller, collectivement…