Gagner la guerre du climat

Le Québec rend ses voisins verts de jalousie ? Peut-être. Mais, il est hautement possible que cette situation soit davantage le résultat d’une communication efficace et d’un aveuglement volontaire (causé par une paire de lunettes roses) que le reflet de la réalité.

Ça fait mal à son Manic-5, une phrase de la sorte, non ?

C’est pourtant là que la science nous rend ses plus fiers services : en nous disant net ce qu’il en est, sans enflure verbale, sans ruban rouge et ciseaux dorés, sans kodaks de la colline Parlementaire. La vérité toute nue, en somme.

Lorsqu’il est l’heure de parler climat et énergie, Normand Mousseau n’est pas le dernier venu. Le chercheur, vulgarisateur scientifique de métier et habitué des sourcils froncés à son endroit chez Hydro-Québec, joue dans son quotidien avec la physique, les matériaux complexes, les protéines, de même que les questions liées à l’énergie et les ressources naturelles. Coprésident en 2013 de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, le prof Mousseau a réalisé alors qu’on ne pouvait plus faire comme on faisait toujours, ni penser les problèmes comme on avait l’habitude de le faire.

C’est que, dans sa lunette (pas rose) de scientifique qui scrute les chiffres et non pas les sondages de popularité, les données sont moins électrisantes que prévu. Bien entendu, le Québec est en avance sur les autres sur le plan de l’énergie renouvelable en raison de son inimitable potentiel hydroélectrique pris en charge par les Québécois eux-mêmes dès le milieu du 20e siècle. Mais, constate le chercheur, on s’est depuis un peu pas mal endormi sur nos lauriers.

On dort au gaz, bref.

Les solutions à la pièce, les objectifs balancés sans vision d’ensemble, sans planification et structure cohérentes n’apportent, en somme, pas grand-chose. On gaspille beaucoup d’argent au Québec, comprend-on.

Or, chaque dollar investi, à l’intérieur d’une vision cohérente, rapporterait beaucoup plus et pourrait servir de levier efficace pour conduire à des changements réels, structurants, pour longtemps. Mais, ce n’est pas ce qui se passe.

Souvent, on s’arrête à la solution technique trouvée ici et là pour diminuer les gaz à effet de serre (GES). On se dépêche de couper le ruban, de faire un sourire et on se tape dans le dos pour se rappeler à quel point on est bon.

« De très nombreux penseurs et décideurs de la sphère politique se sont laissé prendre au jeu de la technologie, au détriment de la réflexion sur les structures de décision », nous dit Mousseau. Il faudrait plutôt revoir en profondeur l’ensemble de la gouvernance « afin de s’assurer que l’ensemble des décisions touchant l’énergie de près ou de loin serait analysé à l’intérieur d’un cadre unique qui favoriserait la cohérence et l’efficacité. »

Amusant, ironie du sort ou force de la science (ou les trois), on déplore justement au même moment, dans l’actualité, le gaspillage de 720 millions $ dans le Fonds vert pour des programmes de lutte contre les changements climatiques qui n’ont jusqu’ici entraîné à peu près aucune baisse des émissions de GES.

Arrangé avec le gars des vues, ou simple prédiction logique de quelqu’un qui sait ce qu’il dit ?

Des documents du ministère de l’Environnement révèlent que les 19 programmes qui ont reçu 718,8 millions du Fonds vert avaient généré une réduction totale de 0,2 mégatonne de GES par an, l’équivalent d’une baisse de 0,24% des émissions totales du Québec.

Des résultats qui ont fait dire aux experts, dont Pierre-Olivier Pineau, à HEC Montréal, qu’il « est urgent de donner une direction aux efforts de réduction des GES. Avec la stratégie actuelle, il n’y a pas de plan directeur, pas d’analyse et de priorisation des programmes, et les programmes sont tout bonnement inefficaces. »

Tout un choc.

Autrement dit, mettre des voitures électriques dans le chemin, quelques bus, changer des façons de faire par-ci par-là ne sont pas des changements structurels. Ça ne modifie en rien les causes profondes des sources d’émissions.

Exactement le sens du propos de Normand Mousseau dans son livre Gagner la guerre du climat, qui déboulonne douze mythes plutôt tenaces dans nos têtes qui nous empêchent de voir le problème (et les solutions) dans son ensemble, tant au Québec qu’au Canada. Parmi ces mythes, notons : la réduction des émissions de gaz à effet de serre
 améliorera immanquablement notre qualité de vie, le Québec est un leader de l’énergie verte, la lutte aux changements climatiques passe d’abord par la voiture électrique, le Canada est un vrai pays et il suffit d’un selfie.

Oui, il a même un peu d’humour, le prof Mousseau.

Mais, les sujets qu’il traite sont des plus sérieux. On réalise, avec lui, que les exportations d’hydroélectricité ne sont pas aussi payantes que nous le croyons, que la voiture électrique n’est pas le Saint Graal et que les cibles de réduction de GES ne sont pas une solution cohérente.

Rien que ça.

À propos des GES, il écrit : « considérons les choses froidement. Il serait possible de réduire de 80 % les émissions de GES du Québec dès aujourd’hui : il suffirait d’interdire l’usage des véhicules à moteur à combustion, de fermer les usines, de cesser de chauffer les bâtiments et d’arrêter la coupe des forêts. C’est aussi simple que ça. De telles mesures, bien sûr, mèneraient à la destruction de l’économie québécoise et canadienne, ce qui compromettrait infailliblement notre qualité de vie, donnant raison aux sceptiques. […] La véritable question pourrait s’énoncer ainsi : comment réussir une transformation profonde de notre société en quelques décennies sans compromettre le développement économique ?

Le défi de la réduction des émissions de GES ne réside donc pas dans la cible elle-même, mais dans l’exigence minimale – et tout à fait raisonnable – suivant laquelle ces efforts devraient contribuer au développement économique, social et même environnemental de chaque société plutôt que de lui nuire. »

Pour faire ça, il faut bien plus que des conférences de presse et des sourires figés au-dessus des poignées de main. C’est l’ensemble de la population qui est interpelée. Il faut repenser notre consommation, nos habitudes, il faut penser large et profond. Ici, l’éducation est nécessaire, la communication, afin de nous conduire à une transformation globale de la société.

C’est alors qu’on réalise qu’un selfie n’est effectivement pas suffisant. Le projet est aussi vaste qu’ambitieux.

Changer les choses profondément n’est incidemment jamais facile. Prenez le trafic routier, par exemple. Même si la science a prouvé à maintes reprises qu’ajouter des voies empire la situation, ne fonctionne pas du tout, il s’en trouve toujours pour se lancer en campagne électorale en promettant plus d’asphalte.

Et il s’en trouvera pour y adhérer.

Dans un cas comme dans l’autre, qu’il s’agisse de climat ou de circulation routière, faut-il vraiment attendre la catastrophe avant d’avoir la lucidité de faire ce que doit ?

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