Vous connaissez Anthony Atkinson?
Non? C’est normal. Ça lui ressemble.
Ce n’est pas un personnage flamboyant. C’est un chercheur, dans le sens le plus académique du terme. C’est un intellectuel, pas une grande gueule. Il ne donne pas son opinion, il cherche d’abord les chiffres, les données, les statistiques, les tableaux comparatifs, les études. Puis, il réfléchit. Beaucoup. Enfin, il avance un pied, puis l’autre, délicatement, pour divulguer les résultats de ses recherches et, au passage, le fruit de sa réflexion.
C’est un intellectuel, un vrai, comme on les aime. Avec, au surplus, le flegme et le tact des Anglais, lui, économiste d’origine britannique.
S’il est inconnu du grand public, il ne l’est pas du tout du milieu universitaire, encore moins des départements d’économie du monde entier. On lui doit, notamment, l’indice d’Atkinson (quand un truc porte votre nom, c’est déjà quelque chose, non?), un outil mathématique qui sert à mesurer l’inégalité des revenus basé sur la théorie économique.
Pour faire court et simple, si vous vous intéressez ne serait-ce qu’une minute aux inégalités, vous entrerez bientôt en contact avec les travaux du professeur Atkinson. C’est un des pionniers de l’étude empirique des inégalités de revenu. Il a, à cet égard, influencé nombre de chercheurs dans le monde, dont le plus connu et populaire Thomas Piketty.
Mais, ne vous y trompez pas : pas d’Atkinson, pas de Piketty.
Anthony Atkinson est mort le 1er janvier 2017 à l’âge de 72 ans. Dans les derniers mois de sa vie, il se savait atteint d’un cancer incurable. Il a donc « précipité » la rédaction de son tout dernier ouvrage, sorte de testament de toute une vie constituée d’un vaste savoir. Ce livre, c’est Inégalités.
S’il est aisé de savoir où loge l’économiste, il reste que ce dernier livre, de l’avis de ceux qui le connaissent bien, est un témoignage plus personnel que jamais auparavant. L’économiste donne son avis, livre ses impressions, donne des idées, des pistes de solutions afin de réduire les inégalités qui sévissent sur la terre, à commencer par chez lui, en Grande-Bretagne.
Notez la nuance : réduire les inégalités et non pas les éliminer. C’est un idéaliste réaliste, Atkinson. Il sait bien qu’avant de rêver de les éliminer, il faut surtout prendre les moyens pour les réduire. Et c’est précisément ce à quoi il s’affaire.
Le livre est imposant, sur le plan des données, des informations. Il faut prendre le temps de broyer tout ça et de le digérer. Pressé par le temps, il a fait ce qu’il ne fait jamais : lancer des idées, sans aller plus loin.
Ça pourrait être la faiblesse du livre, c’en est la force. Il ne s’agit pas que d’un bilan de connaissances économiques. C’est aussi un livre fait d’espoir.
Atkinson croit sincèrement au rôle de l’État. Il se méfie du libre marché autorégulateur qui équilibre les choses comme par magie, pour le bien de tous. Dans les faits, le chercheur sait mieux que quiconque que c’est faux.
Alors, dans son livre, l’État est central, au cœur de ses propositions, un État qui est là pour corriger le tir, rééquilibrer les forces, voir au bien commun. Il défait, au passage, quelques mythes et idées reçues plutôt tenaces, comme le concept « d’égalité des chances ». On peut bien vouloir tenir compte du départ, nous dit le chercheur, il faut aussi tenir compte de ce qui arrive en chemin, et de ce qui se trouve devant nous, à la fin.
Bref, un livre testament d’un économiste flegmatique qui, on le mesure probablement mieux que jamais, avait un cœur immense et une âme profondément humaine et noble.
Puisse cela en inspirer des milliers d’autres.