Bombardier : du con dans l’aile

Il y a de ces événements qui sont des occasions de se poser les bonnes questions. Parmi ceux-là, intéressons-nous un moment aux primes des dirigeants de Bombardier.

Une cible facile, certes.

Facile s’il faut crier à l’injustice et lâcher quelques jurons. Gâtez-vous, ils sont pleinement justifiés.

On peut aussi, et c’est là que ça devient encore plus intéressant, prendre le recul nécessaire pour jeter un coup d’œil à l’ensemble du tableau.

Petit rappel des faits : l’action de Bombardier fond de moitié, les revenus de l’entreprise sont à la baisse, le géant québécois est au bord de la faillite, si bien qu’il faut un (trop) généreux coup de main de l’État pour sauver ces millionnaires à coup de centaines de millions (plus d’un milliard pour le gouvernement du Québec).

Ça, c’est un bilan assez bon pour convaincre le conseil d’administration de Bombardier d’accorder des cadeaux délirants à ses piètres administrateurs : la rémunération des six hauts dirigeants bondit de 48 %, incluant des primes et autres avantages au salaire de base, déjà fort, fort élevé. Ensemble, ces joyeux troubadours se partagent un sympathique 42,7 millions en dollars canadiens.

Par exemple, le président du conseil d’administration, Pierre Beaudoin voit ses revenus passer de 5 millions $ en 2015 à 7 millions $ en 2016, soit une hausse de 36,5 %. Le président et chef de la direction, Alain Bellemare, se contente d’un bond de 47% de ses revenus qui atteignent plus de 12 millions $ (CA). Ses bonis et primes à eux seuls représentent 10 millions.

La vie est dure.

Bien sûr, en voyant cela, le Québec entier est entré dans une colère d’une rare unanimité. C’est difficile faire l’unanimité au Québec, mais Bombardier a réussi cet exploit surhumain de déplaire à tout le monde en même temps.

Chapeau.

Y a pas que les avions qui volent chez Bombardier, a-t-on lu.

Pourquoi les dirigeants de ce fleuron québécois ont-ils eu besoin de ce coup de pied à l’arrière-train pour réaliser que ça n’avait aucun sens ? Quand on détourne l’argent des services publics pour faire plaisir aux entreprises, encore faut-il que ça crée des emplois et que ça fonctionne. Si ça fonctionne, fort peu se plaindront.

Sauf que ça n’a pas fonctionné.

Alain Bellemare a atterri chez Bombardier pour la sauver. C’est un sauveur, lui aussi. Mais, dans le langage des affaires, « sauver » une entreprise, ça veut souvent dire « liquider des travailleurs ».

Là, on rit moins.

Le sauveur et ses amis ont indiqué la porte à plus de 14 500 travailleurs, dont au moins 5 000 au Québec. Une chute de 35 000 pieds pour ceux-ci qui espéraient sans doute poursuivre le voyage avec Bombardier.

Là est le plus grand échec de ce géant : se faire sauver les fesses par l’État québécois et botter le derrière de milliers de travailleurs. Ça ne va pas du tout.

Toutefois, ce qui a mis le feu aux poudres, ce sont les cadeaux consentis à ses gestionnaires. Comment oser s’autorécompenser quand on présente un si piètre bilan ?

Est-ce que ces 6 hauts dirigeants sont fous ? Malades ? Criminels ?

Vous vous souvenez du recul nécessaire dont je parlais il y a peu ? Cette perspective nous permet du coup de poser un jugement plus à propos : ils ne sont pas fous, non. Ils font ce que le système leur permet de faire.

Point.

C’est le système qui est fou, malade et criminel.

Bien sûr, ça n’excuse pas leur geste. Ils sont déconnectés, irresponsables et ont le code moral d’un tueur en série.

Mais, ils font ce qui se fait, partout dans le monde occidental, enchainé par un système pourri qui donne tout aux mêmes et rien aux masses.

Puisse cette bévue monumentale des dirigeants de Bombardier être l’occasion de repenser l’économie des affaires. On peut, notamment, cesser de pleurer de peur devant les « menaces » et le chantage odieux que constituent les bonis, primes à la performance et autres incitatifs bidon qu’on nous sert depuis des lustres (en cristal).

Alain Bellemare l’a pourtant dit : on a créé un système de bonus pour inciter les dirigeants à poser les bons gestes pour faire croître l’entreprise et assurer la rétention de ces dirigeants de haut niveau.

Ah.

Parce que pour 150 000 $ par année, ils ne feraient rien ? Ils dormiraient sur leur chaise ? Ils ne poseraient pas les bons gestes ?

On réalise alors la déconnexion totale de ce monde de l’élite économique, des oies gavées qui suent le mépris à grosses gouttes, alors que les travailleurs du monde entier acceptent de se défoncer à l’ouvrage pour 50 000 $, 35 000 $ ou même 15 000 $ par année (ou moins !). Pour quelques dollars, la plupart des travailleurs acceptent de poser les bons gestes. Ils oeuvreront volontiers à la croissance de l’entreprise.

Alain Bellemare est aussi humoriste à ses heures, lui qui a affirmé qu’il avait pris « avec son cœur » la décision de joindre Bombardier…

Amusant, avouez !

Car, du même rire, il dit que ces salaires et primes sont normaux et que c’est monnaie courante dans l’industrie.

C’est vrai.

À défaut d’offrir des salaires astronomiques, les grandes entreprises doivent se priver des « judicieux » conseils des sauveurs du type d’Alain Bellemare.

Oui. Celui-là même qui est venu chez Bombardier par amour pour ce fleuron québécois. Il veut que ça fonctionne.

Pissant.

C’est l’argent des travailleurs, des contribuables, des citoyens qui a sauvé ces mangeurs de caviar. Le gouvernement du Québec a gaspillé (on appelle ça « investir » en langage politique) plus d’un milliard pour la C-Series qui ne vend pas tant que ça.

Le Québec va en bénéficier, dit le patron de Bombardier.

Oui, il est vraiment comique.

Et pour être certain de faire crouler de rire son auditoire, Bellemare accepte de reporter son augmentation à 2020.

Il n’était donc pas sur le point de mourir de faim, on en conviendra.

Mais, tout ceci, malgré l’état de choc collectif, n’est pas étonnant. Ils font comme les autres, qui se servent et se resservent, jusqu’à ce que ça explose.

Ça avait explosé en 2008 dans le milieu de la finance. Cette fois, c’est l’aéronautique qui bat de l’aile.

Avec le recul, on constate néanmoins que c’est le système qui est pourri. Un système malade qui permet à un mauvais dirigeant de continuer de siéger au conseil d’administration de l’entreprise, même s’il a présidé à sa descente aux enfers.

Le système permet cela. Car, s’il n’était pas le fils de l’autre, de la noble famille Beaudoin, vous croyez un instant que le président du CA y serait encore ?

Le système permet cela.

Alors, ils sont aussi fous que le système le leur permet. La question est plutôt de savoir : jusqu’à quand les citoyens tolèreront-ils l’inacceptable ?

Where’s the revolution, dit la chanson…

 

P.S. Quand on dit que le système est pourri… En 2012, le maire Denis Coderre (alors député fédéral) n’a pas déclaré avoir reçu un chèque de 25 000 $ de l’homme d’affaires Jean Rizzuto. Ce dernier est lié au Parti libéral fédéral et, faut-il le rappeler, sérieusement engagé dans l’immobilier montréalais. Tiens donc…

Pourquoi il n’a pas mentionné ce cadeau de 25 000 $ qui a servi à payer des honoraires d’avocat? Les deux hommes ont d’abord nié les faits… mais se sont repris et confirmé la chose par la suite. Comme quoi, il faut les prendre en défaut, autrement, jamais ils n’auraient révélé quoi que ce soit. Ce monde déconnecté de la réalité, cette élite économique vit dans un univers parallèle qui leur permet de croire que de s’engraisser les uns les autres est permis, correct, cool. Rizzuto a des projets immobiliers à Montréal et le maire ne voit pas le problème?

Le système est pourri, disait-on…


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