Le capital au XXIe siècle

En termes d’inégalités, est-ce que les choses sont moins pires qu’il y a, disons, 200 ou 300 ans?

Peut-être avons-nous l’impression, à la suite de ces luttes, réformes et changements survenus au fil du temps que la situation s’est améliorée, par rapport à ce que l’on vivait aux débuts de l’industrialisation. Après tout, on est loin de l’époque du grand patron d’usine, capitaliste extrême, de l’ouvrier, même enfant, qui travaille 10, 12 heures par jour ou même davantage pour une maigre pitance.

L’économiste Thomas Piketty s’est donné le mandat, colossal, de passer au travers l’histoire du capital depuis le 18e siècle, de cueillir les données, et d’y jeter un oeil, à la manière de l’analyse historique. Ainsi, pendant 15 ans, il a effectué ce travail minutieux, aidé de sa trentaine de collègues, pour recueillir l’information provenant d’au-delà d’une vingtaine de pays.

Le résultat est époustouflant : presque 1000 pages de tableaux, de données, d’analyses et de réflexions, pour un ouvrage touffu, très riche. Mais, le plus grand exploit de Piketty est d’avoir réussi, malgré cet imposant fardeau de matériel, à en faire un livre agréable à lire, facile à lire. Il a une plume agile, l’économiste Piketty. C’est certes un ouvrage imposant, mais ni ennuyeux ni pesant. Le seul poids du livre, considérable, réside dans le temps qu’il faut pour le traverser. C’est long. Très long. C’est, pour plusieurs, ce qui rebutera le plus.

Oui, le livre s’intéresse aux inégalités. C’est le coeur de la recherche. Et l’angle d’attaque est fort pertinent : quelle est la place qu’occupent le patrimoine, l’héritage dans la constitution des inégalités? Jusqu’à quel point le rôle de l’héritage et du patrimoine ont pris de l’importance dans le creusement des inégalités, par rapport au revenu du travail. On recueille les données historiques de tout ça et on observe les tendances.

Voilà, en gros, Le capital au XXIe siècle, de Thomas Piketty.

Et résultat? Les inégalités se creusent, l’injustice est toujours là. Elle se présente sous différentes formes qui ont évolué avec le temps. Mais le fond est toujours là. La croissance ne parvient pas à tenir le rythme du gonflement des patrimoines. C’est là l’idée originale de l’économiste français: comparer l’évolution de ces deux concepts fondamentaux: les revenus versus les patrimoines. Le fruit de cette analyse permet de confirmer la tendance, de mettre encore plus en lumière le révoltant phénomène de l’inégalité. Ce n’est pas du côté des revenus que ça se passe. C’est ailleurs. Dans la stratosphère financière.

Ça n’est pas près de changer, faut vous y faire: le capital financier tend à surpasser tous les excès d’autrefois. Quand un homme seul peut être aussi riche qu’un pays tout entier…

Non, le capitalisme ne tend pas, de lui-même, à tout rééquilibrer et à redistribuer, comme par enchantement, guidé par une main invisible débordante de générosité. Il n’y a pas de processus naturel qui permet d’éviter que les tendances inégalitaires l’emportent durablement. Voilà ce que Piketty nous dit.

Quand on se donne une perspective historique, on constate que les progrès réalisés ne sont finalement pas le résultat des progrès du capital comme tel, mais surtout le fruit de circonstances particulières. Ce sont souvent des événements violents (par exemple les guerres mondiales) qui ont provoqué des changements. Et ces derniers n’ont jamais été permanents, mais ont finalement été surtout des phases transitoires. Après la guerre, l’économie redémarre, on dépense, on reconstruit, on reprend le retard. Mais, lorsque la situation revient à la normale, avec une croissance relativement faible, quoique positive, le contexte redevient favorable au creusement des inégalités : l’accumulation des richesses du passé, de l’héritage et des patrimoines reprennent toute leur importance.

Alors, que faire?

Pour enrayer le problème, rien de facile ; le dynamisme des inégalités n’admet pas de solutions simples.

Afin de pouvoir réguler cette dynamique du capital, il faudrait que les états nations soient mieux outillés pour le faire. Car, un pays, isolément, n’y peut pas grand-chose. Cela passe donc forcément par les grands ensembles : Union européenne, etc. Ces Nations, unies, devraient pouvoir s’attaquer au problème, là où il se trouve, et hausser les impôts sur les grandes fortunes. L’impôt mondial, en somme, et progressif. Ça, sur papier, c’est magnifique. Et nécessaire.

Dans la vraie vie…

Pour y arriver, il faudrait dépasser les divergences des nations et agir, largement, ensemble. Il faudrait que la concurrence fiscale entre les pays disparaisse. Vous imaginez? Oui. Utopie.

Cet impôt mondial permettrait la transparence économique et le contrôle démocratique du capital. Démocratiser le capital, vous imaginez? Oui. Utopie.

À cet égard, on peut bien le vouloir, mais faudra le voir pour le croire. D’ailleurs, il est lui-même un peu Thomas, Piketty, lorsqu’il aborde les solutions envisagées. Il mesure la difficulté que ses propositions représentent.

En attendant la mort du capitalisme et la démocratisation (réelle) de l’économie, Piketty a pu lui-même profiter à plein du potentiel du capitalisme : avec plus de 3 millions d’exemplaires de son livre vendus, l’avenir lui semble tout à fait radieux.

Devenir riche à souhaiter la fin des inégalités. C’est délicieux d’ironie, non?

 

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