Est-ce que l’impôt, tel que nous le connaissons et l’utilisons, répond à l’objectif principal, ultime, à savoir faire en sorte que chacun contribue à la société, selon ses moyens ?
La réponse est non, clairement.
On connaît l’évitement fiscal, l’évasion fiscale, les paradis fiscaux… il existe aujourd’hui des professions bien rémunérées qui ont pour mission de permettre aux riches de faire leur part… le moins possible.
Voilà un non-sens complet, une posture immorale et pourtant… légale.
Voyez-vous, le système d’impôt n’a pas suivi l’évolution de nos petits experts en évitement fiscal, ni les règles et pratiques de concurrences fiscales internationales. En somme, le système a quelques trains de retard.
Dans son article intitulé « Cent ans d’impôt au Canada et la crise fiscale qui vient » (tiré du livre L’état du Québec 2017), la fiscaliste Brigitte Alepin (une hétérodoxe qui travaille pour dénoncer plutôt que pour conseiller comment ne pas faire sa part) démontre à quel point l’impôt ne répond plus à sa mission principale. Il échoue lamentablement à forcer la main de ceux qui ne veulent pas la plonger dans leurs poches, pourtant bien creuses et bien remplies.
Avec le temps, l’impôt des particuliers a presque doublé, alors que celui des sociétés a fait le chemin exactement inverse. Une belle iniquité évidente, manifeste.
Le système ne parvient pas à « imposer adéquatement les sociétés et le capital mobile (argent, actions, placements, richesse intangible, etc.). » La machine n’arrive pas à empêcher les sociétés de trouver des trucs, des stratagèmes pour ne pas payer leur dû. Alors, au bout du compte, ce sont les particuliers qui règlent la facture.
Business as usual.
Et dans un contexte de mondialisation, de commerce électronique, de financiarisation de l’économie, de paradis fiscaux, il devient presque illusoire de penser pouvoir renverser la vapeur. Tant et si bien que certains pays se laissent tenter et sombrent du côté obscur de la fiscalité pour essayer d’attirer chez eux les entreprises créatrices d’emplois…
Une petite entorse, par-ci, par-là, n’a jamais tué personne.
Et pourquoi ne pas devenir un paradis fiscal nous-mêmes, tant qu’à faire ? Si votre ambition est plus modeste, optez pour une fondation privée ! Vous serez enchanté des tours de passe-passe qu’il vous sera possible de réaliser !
Et en ces temps où les gouvernements grattent les fonds de tiroir, quitte à s’attaquer aux plus pauvres, vous serez heureux de constater que vous pourrez influencer les décisions politiques avec le miel de votre fondation, sans même avoir été élu !
C’est extra, comme disait Ferré.
Pourtant, il y en a, des solutions. De belles et de bonnes. Brigitte Alepin parle notamment du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) piloté par l’OCDE, des obligations constitutionnelles qui pourraient forcer la main des récalcitrants, des pays qui devraient cesser de signer des ententes de non-imposition avec des paradis fiscaux et augmenter l’obligation charitable des fondations privées perpétuelles, promouvoir la coopération fiscale internationale, des taxes à la consommation (taxes sur le carbone, le tabac et l’alcool) qui ont l’avantage d’agir sur plusieurs plans (réduire les coûts associés à la pollution réduit les coûts en soins de santé, par exemple), adopter des mesures fiscales d’incitation à la consommation « verte », etc.
Et puis, aussi, pourquoi ne pas adopter une certification fiscale des entreprises ? Ça s’est fait ailleurs. « La certification fiscale des entreprises est basée sur l’idée qu’un consommateur informé n’achètera pas de produits d’une entreprise qui ne paie pas sa juste part d’impôt. Pour inciter les entreprises à respecter ce principe, il suffit d’informer les consommateurs par le biais d’un système de certification fiscale. »
Ça, c’est une idée.
Ainsi, on saurait concrètement qui se fout de la collectivité et qui paye sa juste part.
Évidemment, ça prend, en premier lieu, une volonté politique forte, ce qui est loin d’être acquis. Il est plus facile de plumer un bénéficiaire d’aide sociale (qui n’a rien) qu’un banquier, visiblement.
Le temps forcera peut-être la main des décideurs indécis. Alepin pose ainsi la question : jusqu’à quand les gens (le 99%) vont-ils endurer tout ça?
« Aurons-nous à traverser des crises fiscales avant d’adapter nos régimes au XXIe siècle ? Les grandes révoltes fiscales de l’histoire démontrent que ces crises peuvent être sanglantes, et les leaders de notre époque devraient en prendre conscience et agir en conséquence. Si les inégalités sociales et la défiscalisation des grandes fortunes continuent de prendre de l’ampleur, il faut s’attendre à une réaction de la part des 99 % de la population qui assistent, impuissants, à l’enrichissement du 1 %. »
C’est noté.