Dépossession

Ainsi donc, la Révolution tranquille n’est pas un océan d’amour ni une ampoule de 1000 watts qui nous extirpa de la Grande Noirceur, gracieuseté du ténébreux Maurice Duplessis.

La Révolution tranquille a changé des choses, mais en matière de ressources naturelles, il semble que seul le mot « révolution » soit chargé aussi radicalement. Pour l’essentiel, c’est le « changement dans la continuité », pour reprendre la pittoresque expression politique.

Dans l’ouvrage du collectif d’auteurs dirigé par le chercheur Simon Tremblay-Pépin, on rejoue le film de notre histoire, mais en grossissant les petits caractères, au bas de l’écran. L’objectif est braqué sur la question économique, en prenant racine sur l’évolution de notre rapport avec nos propres ressources naturelles. Et les conclusions des auteurs prennent davantage la tournure d’un drame que d’une comédie.

Le titre de cette histoire, c’est la dépossession.

Il y a des richesses, certes, le Québec en regorge. Alors, pourquoi se priver? C’est la logique de l’extraction à son meilleur.

C’est justement le privé, nous explique-t-on dans le livre, qui avale la plus large part du gâteau, pourtant collectif. Et ce, depuis pratiquement le tout début.

Voilà ce qui fascine peut-être le plus : au lieu de rétablir les choses en permettant aux Québécois de tirer enfin pleinement profit de leurs propres ressources, la Révolution tranquille n’a été, au fond, qu’un passage de flambeau. Des riches gens d’affaires étrangers, Américains ou Canadiens anglais, le gigantesque potentiel économique de nos ressources est passé aux mains de technocrates et de grandes entreprises capables de faire jouer à l’État québécois un rôle d’acteur de soutien, tout au plus. Un acteur au jeu bien complaisant.

Ainsi, les terres agricoles profitent aux grandes exploitations, les mines aux grandes entreprises minières, la forêt aux grandes entreprises privées, nos ressources énergétiques passent de la nationalisation à la privatisation (on rejoue ainsi volontairement dans un mauvais film dont on connait la fin, tragique), etc. Il reste Hydro-Québec, qui fait encore figure de vedette, tout comme l’eau, qui résiste par contre de moins en moins bien aux attraits du côté obscur de la Force de la marchandisation.

Tout au long de l’histoire, tranquillement, les Québécois ont vécu la dépossession de ce qu’ils ont de plus cher, de plus précieux et de plus profondément ancré dans leur culture. Le Québec rural se meurt, l’agriculture locale survit de peine et de misère, les travailleurs forestiers sont encore victimes de conditions indécentes… alors que les milliards s’envolent ou à l’étranger ou, au mieux, dans les mêmes poches de nos plus riches compatriotes.

Mais, nous avons les moyens de changer les choses, non? Eh bien, pas tellement.
Notre pouvoir décisionnel prend souvent l’apparence d’un mirage. On nous dira le contraire, mais c’est un peu la version « histoires pour enfants » ou pour s’endormir.

Les consultations sont « consultatives », les commissions d’enquête ne parviennent pas à imposer des changements profonds… non, il semble plutôt difficile d’espérer la fin de la dépossession généralisée. L’histoire économique du Québec contemporain nous permet une perspective d’ensemble plutôt inquiétante, pour parler franc. Comme on dit : regarder les choses en face est souvent le meilleur moyen de commencer à changer.

« Maîtres chez nous », disait le plus célèbre des slogans politiques au Québec. Pour l’adapter à la sauce actuelle, il faudrait le lire ainsi: il y a des maîtres chez nous.

Et certains s’en accommodent plutôt bien…

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