Les passagers clandestins

L’économie, ce n’est pas toujours passionnant. En fait, rarement.

Le choix des mots, les formules employées, les métaphores, les clichés, les images plus ou moins pertinentes qui contaminent les écrits… rien d’étonnant de constater que la masse tourne probablement la page du journal lorsqu’il est question de PIB, de balance commerciale, de papiers commerciaux, de primes de liquidité…

C’est barbant.

L’économiste Ianik Marcil a décidé de s’attaquer à ce problème de communication avec son livre « les passagers clandestins ». À son avis, la manoeuvre est tout à fait volontaire. « Des stratégies rhétoriques sont sciemment utilisées par les détenteurs de pouvoir afin d’enfumer la population et éviter qu’elle puisse imaginer possible un monde différent », écrit-il.

Alors, on fait un usage abusif des métaphores, des trompe-l’oeil. La pratique tend à ignorer un fait important : ce sont des phénomènes et des institutions humaines, historiquement, socialement et culturellement construits dont il question. En bref, ça nous concerne, tous.

Les économistes sont peut-être pris pour des dieux, eux qui conseillent les politiciens, les banques, les institutions, les entreprises, il reste qu’ils sont, au fond, tellement mortels. Ils peuvent vous regarder de haut, affirmant que l’économie est une science fiable… et ne pourtant pas du tout prédire les cours de la Bourse.

Comme quoi la Main invisible d’Adam Smith est effectivement… invisible. Le marché ne s’équilibre pas par magie, en toutes circonstances. Il ne fait pas les meilleurs choix : il fait surtout en sorte de concentrer la richesse entre les mains d’un nombre très restreint d’individus.

L’économie n’est pas une science, mais elle n’est pas un phénomène naturel non plus. C’est pourquoi l’économiste Marcil aimerait que la société se défasse d’expressions et mots du type : « le marché a mal réagi », dépression, équilibre, compétition, tempête sur les marchés, bulle spéculative, ralentissement, gel des prix, les « humeurs du marché », le marché « inquiet »… comme s’il s’agissait de forces de la nature contre lesquelles il serait futile et vain de lutter. On ne lutte pas contre la météo, n’est-ce pas?

Belle connerie.

À force de la répéter, elle devient néanmoins vraie, et c’est là qu’il faut s’interposer. Il y a bien eu une brèche dans la palissade capitaliste, en 2008, mais les concepts n’ont pas encore été remplacés. Ils n’ont pas dit leur dernier mot.

Le néolibéralisme a fait place au postlibéralisme, une idéologie encore plus déterminée, plus hégémonique.

Voilà le passager clandestin dont nous parle Ianik Marcil.

Ce passager a bien l’intention de prendre le contrôle du train et de l’emmener dans le paradis de l’individualisme, de l’égoïsme, du consumérisme.

Alors, on se permet les abus les plus complets en usant des mots, des formules et des images qui servent uniquement notre cause: quand on fout du monde à la porte, on ne fait qu’augmenter les initiatives d’efficacité. Étudier à l’université n’est pas l’occasion de se réaliser, mais permet plutôt d’assurer un meilleur rendement économique du capital humain. Il n’y a plus de patients, il n’y a désormais que des clients. Et on fait dire au citoyen moyen ou à la majorité silencieuse à peu près n’importe quoi.

Et la vérité dans tout ça? En usant de trompe-l’oeil, on peut faire dire aux chiffres que tout va pour le mieux.

Il n’y a pas de doute : greed is not good.

livresemaine-1


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